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Alto

 

Paru dans la revue "OPMUDA": Eugène YSAYE et l’alto

  

Mon cheminement concernant Eugène Ysaye et l’intérêt qu’il a porté à l’alto remonte aux liens entre les  « écoles » françaises et belges de violon et d’alto.

La fameuse école franco-belge (ou belgo-française!) - laquelle m’ a été présentée de manière assez différente par respectivement Serge Collot et William Primrose - suscite en tous les cas beaucoup d’intérêt de la part de très nombreux instrumentistes à cordes!

Concernant d’abord la production de la sonorité, il s’agirait entre autres, et déjà, de ne jamais forcer l’instrument, ceci en étant aidé par de nombreux exercices signés Ysaye, exercices sans doutes guidés par des sensations de plénitude sonore qui étaient incontestablement celles du Maître wallon.

Eugène Ysaye possédait entre autres un très bel alto signé « Carlo Antonio Testore », et il est prouvé que le compositeur violoniste avait son alto à coté de lui lorsqu’il a écrit sa sonate pour violoncelle op.28 ..

William Primrose, dont la destinée de plus grand altiste du XXème siècle a été orientée par les conseils d’Ysaye, disait à propos de son maître:

« Peu nombreux sont les violonistes qui savent jouer de l’alto. La plupart sont des exécutants habiles à jouer du ‘’ grand violon ‘’. Ysaye faisait partie des exceptions. Sa technique d’archet et son système unique de doigtés le favorisaient largement » .

Une lettre de Vincent d’Indy nous donne de précieux détails sur la relation privilégiée qu’Ysaye 

entretenait avec l’alto ; après la défection, la veille d’un concert de musique de chambre, du violoncelliste prévu pour ce concert, d’indy écrit:

«  Alors Ysaye a une idée lumineuse: il aime jouer de l’alto, il jouera mon Lied de violoncelle sur l’alto! En empruntant l’instrument du prince de Chimay…

Ysaye a joué comme un dieu ; c’était superbe, je n’ai jamais rencontré de musicien  qui me donne autant d’émotion que cet homme-là ».

Notons qu’aujourd’hui (grâce à Ysaye!), l’édition du Lied de Vincent d’Indy porte le titre « Lied pour violoncelle ou alto ».

Les apparitions en public du grand violoniste à l’alto n’étaient pas rares. Le 17 mars 1889, il avait joué ‘’ Harold en Italie ‘’  au Conservatoire de Bruxelles sous la direction de Gevaert.

A un moment ou à un autre du parcours d’instrumentiste à cordes, on est forcément happé par le charisme, le magnétisme d’Eugène Ysaye. Je pense souvent que  le grand violoniste était comme un « révélateur » , un peu comme devait l’être Nadia Boulanger pour un jeune compositeur.   Il suffit de regarder la liste impressionnante de ses élèves, parmi lesquels Ernest Bloch devenu l’immense compositeur que l’on connait, et notre héros William Primrose!

On connait la fascination qu’Ysaye a exercée sur, entre  autres, Claude Debussy, César Franck ou sur grand nombre de ses élèves et tout particulièrement sur son élève privilégiée, la Reine Elisabeth de Belgique…

J’ai eu le privilège en décembre-janvier 1981-1982 de travailler à Provo (Utah) avec William Primrose et il est évident pour moi qu’Eugène Ysaye était présent dans son enseignement. Plusieurs exercices qu’il m’a même dessinés sur l’une de mes partitions étaient, à l’origine,  des exercices d’Ysaye. « Se rapprocher de chaque nouvelle corde de manière si progressive que l’on donne l’illusion de ne jouer que sur une corde «  .  J’ai compris au contact de Primrose que cette quête du « funambule » deviendrait une obsession tout au long de ma vie d’altiste.

Dans le sous-sol de la maison de Primrose à Provo, le dessin de ce fameux exercice était présent sur une photo dédicacée d’Eugène Ysaye à William Primrose.

Ayant le plaisir d’enseigner au Conservatoire Royal de Musique de Liège, j’ai appris,  il y a peu de temps,  que le Fonds Ysaye se trouvait partagé entre les bibliothèques des Conservatoires royaux de Bruxelles et de Liège .

Un matin du mois de mai 2016, je décide d’aller rencontrer le bibliothécaire Philippe Gilson, lequel m’a conduit aux  nombreux cartons de cet extraordinaire fonds Ysaye .

Il m’a fallu une heure environ (seulement une heure…!) pour découvrir dans un carton de manuscrits une  fabuleuse ‘’Introduction’’ inédite pour alto seul.

Ressentir alors la joie du chercheur d’or devant une énorme pépite a été un moment privilégié  de mon parcours de musicien ! Comme si, quelque part, Eugène Ysaye m’avait lui-même guidé vers ce  manuscrit qui se trouvait là depuis des dizaines d’années en attendant que l’on vienne le découvrir, le « réveiller »!

Une deuxième découverte dans ce même carton a été celle d’un ‘’Divertimento n°3’’ pour violon seul agrémenté de quelques notes d’accompagnement au piano, au tout début et à l’extrême fin, divertimento que j’ai eu beaucoup de plaisir à transposer une quinte au-dessous pour alto, ceci sans rien changer à l’original.

Les éditions Doperman-Yppan ont maintenant édité ces pages uniques qui illuminent notre littérature du début du XXème siècle pour alto solo, à coté des suites de Reger et des sonates d’Hindemith.

‘’L’Introduction’’ d’Eugène Ysaye n’est pas sans rappeler le ‘’Capriccio’’ op.posthume de son maître Henri Vieuxtemps .

J’aimerais terminer cet article par une constatation qui restera à jamais propre à notre instrument.

Et à ce niveau, la Belgique nous offre un historique d’une ambiguité remarquable :

C’est à Bruxelles que s’est créée le 25 avril 1887 la première classe consacrée à l’alto au sein d’un établissement supérieur (donc avant l’Allemagne et la France).

Au début du XXeme siècle, Ysaye jouait en musique de chambre, entre autres avec Lionel Tertis, tandis qu’en Belgique toujours, les plus grands violonistes jouaient aussi de l’alto (Vieuxtemps , Wieniawsky, Ysaye lui-même donc….)

Et c’est  dans ce même pays, la Belgique, que les’’ Académies’’ préfèrent souvent confier l’enseignement de l’alto à des violonistes  et non à des « spécialistes », et cela aujourd’hui encore,même si- personne ne le niera!- l’alto a désormais pris un réel essor.

Il est passionnant de constater que l’histoire des traditions instrumentales tient souvent plus à la valeur de certains êtres humains , qu’à des courants généraux ou à des ‘’ écoles’’.

 

Pierre henri XUEREB

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